Le 15/03/2016 par Julie
A l'heure où les premières appellations françaises célèbrent leurs 80 années d'existence, et où des vignerons s'associent et luttent pour faire reconnaître la spécificité de leur terroir et pour le droit d'apposer le sacro-saint sigle "AOP" sur leurs étiquettes, on pourrait presque croire que "hors de l'appellation, point de salut".
L'appellation offre un confort aux producteurs, c'est une marque pré-existante, défendue par le collectif, dont ils peuvent profiter à condition de remplir certaines conditions. Nous ne disons pas que l'agrément est "donné" (et de nombreux cas prouvent le contraire), mais qu'à condition de jouer le jeu, une fois qu'il est acquis, il est infiniment plus facile de s'appuyer sur cette marque, parfois connue dans le monde entier, que de travailler à créer sa propre marque, à ouvrir son marché et à vendre sa production sans autre appui.
Nous sommes en 2016, et on attend encore d'entendre un consommateur pousser la porte d'un caviste et demander "qu'est-ce que vous avez, en IGP Vaucluse ?"
Face à ce constat, une seule solution, une seule voie : la créativité. A défaut d'être dans le cadre (plus ou moins strict) des appellations, profitons de la marge de manoeuvre offerte par les dénominations IGP, pour sortir un peu des sentiers battus. Cependant, ce qui est une contrainte pour certains (qui ne peuvent de facto pas revendiquer une appellation, et n'ont d'autre voie que l'IGP) est un choix délibéré pour d'autres, qui pourraient vendre leurs vins sous un sigle AOP, mais décident de s'en affranchir.
Dans le grand Sud-Est de la France, 9 dénominations ont fait le choix de se regrouper au sein d'InterVINS Sud-Est, présidé par Jean-Claude Pellegrin. Outre l'IGP Méditerranée, ce sont les 4 IGP départementales Ardèche, Drôme, Vaucluse et Bouches-du-Rhône, auxquelles viennent s'ajouter l'IGP Alpilles, l'IGP Coteaux des Baronnies, l'IGP Collines Rhodaniennes et l'IGP Comtés Rhodaniens, et forment une mosaïque s'étendant des garrigues de la Drôme aux étangs de Camargue, des gorges de l'Ardèche aux monts des Alpilles et au Mont-Ventoux. Et si ces IGP ne sont "que" 9, les chiffres totaux peuvent donner le tournis :
Pour représenter une telle diversité, à chaque millésime, un jury d'experts (sommeliers, cavistes, producteurs, critiques, enseignants, étudiants, oenologues...) sélectionne les meilleures cuvées, celles qui représenteront la famille d'IGP toute l'année. Ce sont cette année 49 cuvées, dans toutes les IGP de la famille, dans toutes les couleurs, entre 3,5€ et 35€ la bouteille, qui forment les "Heureuses Sélections", parmi lesquelles quelques coups de coeur officiels... et nos coups de coeur, que voici :
Plusieurs coups de coeur de notre côté, mais c'est vraiment la créativité que l'on salue, et qui s'exprime jusque sur les étiquettes de certaines cuvées. Deux tendances principales ont retenu notre attention : les cépages peu connus, comme le marselan, le caladoc et le chasan, que nous avons eu l'occasion de découvrir à travers ces Heureuses Sélections, et les grands assemblages, des rouges et des blancs de qualité, d'où ressort le talent des femmes et des hommes qui les ont créés.
Le cépage caladoc et les rosés
Le caladoc est un croisement récent (1958) entre le malbec et le grenache, que l'on ne rencontre que rarement mais qui est apprécié pour sa ressemblance avec le grenache et sa résistance à la coulure. Il n'est accepté dans aucune appellation, et on en trouvait quelques 2.400 hectares en 2008, utilisés pour produire des rouges colorés et tanniques ainsi que des rosés fruités. C'est ce deuxième genre qui nous intéresse ici, avec 3 cuvées montrant 3 facettes différentes de ce cépage.
Le cépage chasan en blanc
Plus rare que le caladoc mais tout aussi récent, le chasan est un croisement entre le chardonnay et le listan (aussi appelé palomino fino - le cépage des vins de Jerez), dont on ne trouvait que 860 hectares en France (et dans le monde) en 2008, quasi exclusivement dans le département de l'Aude.
En rouge : le cépage marselan
Encore un croisement de cépages réussi qui nous vient des laboratoires de l'INRA de Montpellier, le marselan est issu de la rencontre du cabernet sauvignon et du grenache, et est de plus en apprécié pour sa qualité (il donne des vins aromatiques, intensément colorés, structurés, avec des tanins souples et un assez bon potentiel de garde) ainsi que sa résistance aux maladies de la vigne.
Les heureux assemblages
La créatrice et rédactrice-en-chef de la Feuille de Vigne partage son temps entre un bureau (avec vue sur les vignes) et les vignes de France et d'ailleurs, et ne cache pas son intérêt pour les bouteilles les plus surprenantes, les vignobles les plus inattendus, et les vins étranges et étrangers.