Le 28/06/2012 par Monsieur Septime
C’était le produit miracle venu sauver le marché du vin en France. Des chiffres de progression annuelle époustouflants à faire rougir tout bon commercial. L’engouement était tel que le secteur viticole amorçait un virage à 90° pour s’engouffrer dans ce marché naissant. Mon dieu, même l’Alsace et le Beaujolais s’y sont mis. Le marché sort ainsi d’une atonie destructrice et se redynamise avec un chiffre d’affaires dépassant celui des blancs en 2010. Pourtant si les premiers signes de ralentissement apparaissent sur certains segments en 2011, en chiffre d’affaire les IGP dépassent les AOC. C’est le succès total pour le rosé.
Pourtant il aura fallu un printemps quasi automnal pour mettre un frein brutal à cette folle ascension. Aujourd’hui, 2012 s’annonce sous les plus mauvais auspices. Les palettes de vins s’entassent dans les hypers, les cavistes sont harcelés par des commerciaux sur les dents qui veulent placer absolument leurs invendus. La donne est simple, le Rosé ne se garde pas (à part les bons) et est typiquement un "produit saisonnier" donc peu d’espoir dans les Foires aux vins de septembre.
Courant mai, la crise s’installe et le secteur viticole se retrouve face à ses démons: pas bon, pas cher. Mais on retiendra surtout l’expérience du pas bon. J’ai perdu quelques amis début juin, le soir où ma femme a ramené pour l’apéro une expérience gustative… inattendue. Du pas bon "bio" d’hyper mixé avec du pas bon Rosé d’hyper, cela vous donne quelque chose de terrifiant.
Faire du Rosé dans les règles de l’art est une chose, mais produire des raisins dont la qualité importe peu en est une autre. Car pour faire du Rosé, pas besoin de bons raisins, on valorise d’abord des productions de médiocre qualité. C’est le jackpot. Malheureusement, comme en cuisine, la qualité des ingrédients transcende le savoir faire du Chef. Ce que goûte le palais marquera durablement ce qui nous sert de cortex. Le vin a pour lui d’être vierge d’exhausteurs de goût (enfin espérons-le) évitant à nos sens d’être trompés. Ah ce satané cerveau reptilien qui échappe au bien fondé du marketing et se montre si imperméable à la médiocrité; il signifie la fin du Rosé.
La Provence qui au fil des années avait réussi à offrir un renouveau qualitatif sur ces appellations grâce à des producteurs talentueux se voit encore en première ligne du désastre, désastre réel ou perçu. En tête des linéaires avec 44% des parts de marché en 2011, la région reprend un sévère coup de bâton par réaction, même si les premiers à en payer le prix sont ceux du Languedoc-Roussillon.
De leur côté les petits producteurs, pour la plupart auto-qualifiés d’indépendants, indépendant de quoi? En tout cas ni de la grande distribution, ni du marché. Ces petits producteurs se sont laissés bercer par les conseils en marketing, voire envoûter. Ne faire que du rouge est considéré comme une grave erreur. "Faut une gamme" nous répète-t-on sans cesse; un rouge facile à boire, un rouge de garde, un mousseux et un Rosé. Ainsi le client qui vient acheter au domaine repart le coffre plein, ou, dans le cas d’un professionnel, on peut éventuellement jouer sur un effet de gamme.
Si les pétillants sont "out-sourcés", le raisin est donné à un prestataire qui vous livre le produit fini en bouteille, permettant ainsi de valoriser "des raisins de piètres qualités" (sic), il en est tout autre pour le Rosé. Ce dernier est produit au domaine. Voilà donc notre pauvre vigneron rendu à faire ce qu’il ne sait pas faire, c'est-à-dire à faire comme la majorité des producteurs, du rosé sans personnalité pour les meilleurs d’entre eux ou carrément pas bon pour les autres. Lors des dégustations, j’avoue un peu sadiquement me délecter du grand écart que doit faire un vigneron quand il présente son vin rouge - reflet de du terroir, du climat, vinifié de façon la plus respectueuse possible - et son Rosé, celui avec les arômes de fraise Tagada. "Surtout buvez le très frais. Oh la encore plus frais que ça".
Faut-il sauver le soldat "Rosé"?
Monsieur Septime
Septime, que l'on appelle volontiers "Monsieur" Septime, est un homme aux visages multiples: consultant en management, spécialiste de la formation professionnelle, mais aussi un auteur passionné et un grand amateur de vin.
Il a fondé le site Mistelle.fr où l'on peut retrouver sa plume impertinente, acerbe, tranchée et souvent très juste. En librairies, c'est en tant que co-auteur de "La Face Cachée du Vin" qu'il se distingue; l'ouvrage, co-écrit avec Laurent Baraou, est paru en 2010 aux éditions François Bourin.
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