Le 6/08/2012 par Olivier Lebaron
Ce devait être le salon des vieux cépages. Il s’appelle ainsi sur une affiche hors d’âge tout droit sortie d’un autre temps, sur laquelle des bouteilles ailées s’envolent vers un ciel peut-être prometteur. Sur la route, dans ces interminables lacets entre Perpignan et le village perché de Trilla dans les Pyrénées-Orientales, au cœur de la vallée de l’Agly, en s’enfonçant dans le massif de garrigue, de chênes liège et de vignes, on imagine les vignerons, résistants, courbés, fatigués par les ans, usés par la sécheresse du schiste, les mains creusées par la minéralité, le dos cassé, battus par la tramontane et de toutes façons, inéluctablement, pliés par la montagne.
La vigne perd du terrainOn s’inquiète devant un constat qui saute aux yeux! La vigne recule. Ca se voit! Elle perd du terrain. Elle s’arrache et rien ne la remplace. Il y a, de ci de là, des taches, des parcelles nues, dont les bas-côtés se garnissent de pieds de vignes américains, tandis qu’au centre, sur la terre retournée, une herbe sèche, jaune, tapisse le sol.
D’un village à l’autre, on s’étonne de cette ruralité mourante. A l’entrée ou à la sortie des villages, c’est selon, le cimetière s’impose, force le silence, évoque ces forces vives qui s’en sont allées sans remplaçant. Ces ancêtres dont la vie était la vigne, la terre, sans autre choix!
Sur la route, Saint-Arnac se laisse prendre, et, sans résistance, nous n’y verrons aucune âme qui vive. Pourtant, je le sais, il y a ici un projet viticole dont j’ai de nombreuses fois eu vent et dégusté des cuvées sublimes. Je m’en suis fait une certaine idée, romantique, poussé par les quelques mots de Marc Parcé à propos de cette aventure bien nommée, la Préceptorie: "Le chemin parcouru en dix ans nous a permis la décantation nécessaire, indispensable pour faire la part des choses, la part des êtres, la part du rêve et celle de la réalité." Je repense à Aurélie Perreira qui depuis peu amène ses raisins à la cave coopérative de Maury, démarche inverse de tous ces viticulteurs, souvent les plus jeunes, qui se retirent de ces structures apparemment obsolètes et très certainement fragilisées, en voie d’extinction. Certains appellent cela le "vivre ensemble"…
En arrivant dans le minuscule village de Trilla, vers 11h, ce samedi matin de jour de fête, bravant l’absurde renoncement de la curiosité, nous sommes déjà résignés, conditionnés, prêts à défiler devant un alignement de vieux cépages…
A quoi ressemblent-ils? Sont-ils rabougris ou encore debout, prêts à nous en donner, des émotions?
Cuvée après cuvée, c’est bon, c’est très bonEt aussi incroyable que cela puisse paraître, passé la porte de la salle des fêtes communale, nous ne voyons que des jeunes vignerons, enfants du pays ou pas, affairés, tous, occupés, débouchant, servant, discutant, expliquant. On s’étonne avec eux de cette affluence. Mais progressant de l’un à l’autre, un verre à la main, une certitude prend forme et se conforte, cuvée après cuvée, c’est bon, c’est très bon, c’est différent, c’est fin. Voilà pourquoi nous sommes venus, pour déguster des vins qui ont du goût!
Pourquoi des vignerons qui ne dépassent pas la trentaine savent l’importance de ne pas perdre ces cépages et surtout comprennent que des parcelles de vignes vieilles de plus de 80 ans c’est un trésor de terroir?
Comme me confie Jean-Philippe Padié*, vigneron artisan à Calce, "quand tu récupères de telles vignes de carignan ou de grenache qui ont parfois plus de 100 ans, c’est un privilège. Personne n’en veut et pourtant c’est avec elles que tu fais les meilleurs vins".
Finalement, le salon de Trilla me réconcilie avec ce genre d’événement que j’avais pris soin d’éviter dernièrement, épuisé par l’absence de sens, le côté abattage, dégustation, manque de temps, coup de coude, pousse-toi-de-là-que-je suis-un-professionnel.
Ici, tous les vignerons ont pris le soin de la rencontre et de l’échange comme les frères Danjou Banessy*, naturels, grands gaillards souriants, qui nous ont fait plonger dans un autre univers avec un carignan gris exceptionnel, salin, pur, et d’autres surprises que vous aurez forcément envie de savourer.
Olivier Lebaron - Showviniste
Crédit photo: Olivier Lebaron - Jean-Philippe Padié au salon de Trilla
* Domaine Danjou-Banessy, 1b Rue Thiers · 66600 Espira de l'Agly
Tél : 04 68 64 18 04 - http://domainedanjou-banessy.com/
* Jean-Philippe Padié - 11, rue Pyrénées - 66600 Calce
Tél. : 06 99 53 07 66 - contact@domainepadie.com - http://www.domainepadie.com
C'est le vin qui a guidé ses pas vers le Languedoc, à Pézenas où Olivier Lebaron vit maintenant. Témoin vibrant d'un patrimoine en mouvement dans ce pays d'art et d'histoire, il sillonne la vigne à la recherche de vignerons atypiques dont il fait partager la rencontre sur son blog ShowViniste, qu'il définit comme le "blog citoyen du vin". Par son regard décalé du vignoble, il aime à illustrer ses articles d'images originales et soignées.
Responsable Marketing et Technologie pour Vitisphere, Olivier Lebaron se distingue également par son ouvrage pédagogique "Vin, Internet et Mobilité: la révolution", paru en 2011 aux éditions Féret. En pro des réseaux sociaux, vous pouvez le retrouver sur son profil Facebook, sur Twitter (@ShowViniste) et aussi sur Pinterest.