Billet d'Humeur
Le 3/12/2012 par SRR
Le temps du père
Le père, c’est Aimé.
Aimé Cazes, le père de Bernard Cazes, le producteur viticulteur bien connu pour ses Muscats de Rivesaltes et ses Côtes-du-Roussillon sanguins et charnels. Lors de ma visite au Salon des Vignerons Indépendants, j’ai pu rencontrer M. Bernard Cazes.
Plein d’énergie, ce qui est en soi incroyable lorsque l’on sait que c’est le deuxième jour d’un salon qui tient plus du wagon de métro bondé à l’heure de pointe que de l’aimable foire agricole de village. Une pensée notamment pour ce groupe de jeunes filles passablement avinées, frôlant l’hystérie et ne prenant pas le temps de déguster.
Le temps.
C’est le sujet de la question posée à Bernard Cazes : "quel est votre vin préféré, celui qui vous fait le plus profiter de votre temps?". Et Monsieur Cazes, après une dégustation progressive et patiente de ses vins, nous fait goûter sa cuvée Aimé Cazes.
Un hommage à Aimé Cazes
Appréciant, l’hommage, nous dégustons. Et là, nous découvrons pourquoi ce vin est celui, le mieux, qui fait d’une dégustation un instant où secondes s’écoulent paresseusement.
Le liquide est onctueux, presque sirupeux et coule au ralenti. Les arômes qui s’échappent son ceux d’un vieux buffet, d’un garde-manger bien garni, plein de senteurs étranges et de produits chaleureux. Cela embaume littéralement l’atmosphère d’abricots secs, de confiture de mirabelles et d’épices exotiques au nom venu d’ailleurs: la cardamome des vins chauds de l’hiver, les clous de girofles des pots-pourris qui purifient l’atmosphère de la chambre et du salon. Cela sent l’orange amère, le Cointreau, la gelée de coing en train de cuire dans un grand faitout en cuivre. La couleur, ambrée, est celle des photos sépia ou l’on voit une grande personne qui pourrait être nous pousser sur un tricycle en bois une petite personne qui fut nous.
Comme un hommage à mon père
Et lorsque ce doux liquide touche nos lèvres, je comprends que c’est le temps de nos pères, le temps de mon père.
Cette saveur, c’est l’orange de l’eau de Cologne du bisou du matin, la chaleur d’une main qui nous relève quand on tombe, le regard de celui qui nous veut toujours meilleur et qui accepte ce que l’on devient. C’est le temps du père qui coule dans la gorge, celui qui nous a appris et que nous ne voyons plus trop souvent parce que l’on grandit.
Je comprends, M. Cazes. Cette bouteille n’est pas pour boire tout seul: il faut la boire en rendant un peu de temps à celui qui nous en a donné, boire ensemble avec son père, comme ça, pour être ensemble.
Moi aussi, j’aurais donné le nom de mon père à cette bouteille.
J’en achète une, comme cadeau de Noël.
Nul doute que le message de cette bouteille, mon père le connaît depuis longtemps. C’est "tiens mon fils, buvons un verre ensemble, nous avons tout notre temps".
Quelques mots sur l'auteur : SRR
SRR mène depuis longtemps une double vie: consultant le jour, dégustateur la nuit. En rejoignant la FDV, il a trouvé un exutoire à ses envolées lyriques, un lieu pour clamer haut et fort sa passion et montrer que le vin est à portée de tous, qu'il suffit de pas grand chose pour "venir au vin" et ouvrir la porte d'un monde qu'il adore. Il a certes une prédilection pour les grands et petits Bordelais, son éclectisme reste toujours de rigueur, y compris quand il s'agit de surprendre son entourage avec des cocktails parfaitement mixés.
