Le 19/03/2013 par Monsieur Septime
Il est toujours surprenant de voir apparaître subitement dans le paysage de l'alter-vin un vigneron nouveau. Pourtant quand on y regarde de plus près, quelle surprise de s'apercevoir que ce vigneron est loin d'être un petit nouveau mais à la tête d'un domaine assez vaste avec une longue histoire viticole derrière lui. C'est le cas de Pierre Charlot, vigneron en Champagne, que nous avons eu la chance de rencontrer avec mon compère Laurent Baraou à la Librairie gourmande un samedi au cours d'une séance de dédicace. A l'occasion, Pierre nous fit déguster "à l'arrache" un brut non dosé avant qu'il reçoive sa liqueur d'expédition pour un dosage final à 6g/l. Tirée du sac, la bouteille déjà ouverte à température ambiante, le champagne servi s'est montré étonnant.
Deux mois plus tard nous avons l'occasion avec Laurent de nous arrêter au domaine. En ce dimanche de novembre, la colossale statue d'Urbain II veille sur le calme village de Châtillon-sur-Marne. L'exploitation est dans le village, rien ne la distingue de l'extérieur. Pas de château, ni de grosse cylindrée garée devant la maison. Nous revoyons Pierre tout souriant. Il est chez lui, dans son univers. Les cheveux courts, les oreilles légèrement décollées, il semble sortir à peine de l'adolescence avec son sourire malicieux et ce calme tranquille qu'il inspire.
L'histoire de l'exploitation est singulière. C'est la grand-mère, Solange, arrivée dans le village en 1941, qui dirige le domaine depuis la mort de son mari. Son fils, devenu un brillant commercial dans une grande entreprise américaine, ne se destine pas à la vigne. C'est donc le petit-fils qui reprend en 2009 les rennes du domaine de 4,5 hectares, tout en restant militaire de réserve. S'appuyant sur l'héritage de sa grand-mère et conseillé par son cousin Francis Charlot (proche de Pierre Masson, un des papes de la biodynamie), Pierre conduit petit à petit sa barque selon des principes proches de la biodynamie.
Le premier champagne dégusté est le Brut d'entrée de gamme, un 100% Pinot Meunier non dosé, assemblage de 2009 et d'une majorité de 2010. Le nez est très aromatique. En bouche une petit note oxydative apporte une structure au vin avec un gras en final qui vient délivré un véritable plaisir. Je suis bluffé. Cela confirme le premier avis lors de notre rencontre à Paris.
Le second champagne est le Brut réserve (6g/l) de la gamme (Pinot noir: 5 % au maximum, Chardonnay: 20 % au maximum, Pinot meunier: 75 %). Dégorgé le 15 novembre dernier, c'est un assemblage de 2008, 2009 et une majorité de 2010. La bouche est gourmande et légèrement acide. Un pur bonheur là aussi.
Ensuite Pierre nous fait déguster des champagne qui ne sont pas encore en vente mais qui sont un bon exemple du travail entrepris dans un objectif de diversification et de production haut de gamme qualitative. Les vins sont vinifiés avec des levures indigènes et les jus ne sont pas décolorés avec du charbon comme cela se fait habituellement en Champagne.
Chardonnay, Pinot Noir ou Meunier, que du bon!On commence par un 100% Chardonnay 2010, un blanc de blanc, de la parcelle "Sous le bois" (80 ares dont 28 en Chardonnay encadrés par le Pinot Meunier). La robe tire sur le vert. 500 bouteilles issues des 20 premiers hecto de presse qu'il va déclassé s'il les commercialise avant les 3 ans complets d'élevage sur latte.
On passe ensuite à un 100% Pinot Noir 2010 (25 ares en plateau, "Les bois Sercelins"). Si le nez est franc, c'est une véritable explosion de saveur en bouche. En effet la bouche d'abord vive et végétale, tire sur l'iode qui s'estompe sur de l'agrume et se confirme en citron vert. Magnifique.
Pour finir un 100% Pinot Meunier 2009 vinifié en barrique. Elevé pendant 1 an en barrique de 4 vins et l'élevage s'est poursuivi en cuve afin d'éviter l'oxydation avec un batonnage hebdomadaire. De même une grande complexité dans le verre. Sur les 500 bouteilles, 100 vont été déclassées et seront vendues 30€ l'unité et les autres environ 50€. Avec ses deux fournisseurs de barriques dont Jérôme Viard, Pierre Charlot teste l'effet sur l'élevage de chauffes différentes pour choisir au mieux ses barriques par la suite.
La dégustation se conclut sur un Coteau Champenois rouge: un 100% Pinot Meunier. Le vin est élevé en barrique 5 ans sous voile, sans être ouillé. En réalité une barrique oubliée au fond de la cave. La mise a été faite en 2010. La bouteille est dépoussiérée et ouverte. Nous sommes servis et ravis. Tandis que nous échangeons sur ce superbe résultat. A ce moment Solange Charlot, 90 ans, entre et nous annonce fièrement en voyant la bouteille de rouge ouverte: "C'est mon vin!". Belle réussite dont elle peut être fière.
Le domaine, qui a toujours commercialisé la totalité de sa production en direct, pratique des prix relativement bas. Sans intermédiaire aujourd'hui la difficulté est de sortir de cette ornière de la vente directe afin d'alimenter un réseau de cavistes et de restaurateurs. Cela passera surement par le développement d'une offre spécifique qui ne ferait pas fuir la clientèle fidèle du domaine du fait d'une augmentation tarifaire excessive sur les trois cuvées historiques (Rosé, Brut et Brut Réserve).
Monsieur Septime
Champagne Charlot Père et fils
12 rue Jean d'Igny
51700 Châtillon-sur-Marne
03 26 58 34 72
Crédit photo: Monsieur Septime - Vin clair de Pinot Meunier 2012. Le vin n'est pas dé-colorisé au charbon.
Septime, que l'on appelle volontiers "Monsieur" Septime, est un homme aux visages multiples: consultant en management, spécialiste de la formation professionnelle, mais aussi un auteur passionné et un grand amateur de vin.
Il a fondé le site Mistelle.fr où l'on peut retrouver sa plume impertinente, acerbe, tranchée et souvent très juste. En librairies, c'est en tant que co-auteur de "La Face Cachée du Vin" qu'il se distingue; l'ouvrage, co-écrit avec Laurent Baraou, est paru en 2010 aux éditions François Bourin.
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