A moins de vous spécialiser dans les vins portugais, il y a de grandes chances pour que vous n’ayez jamais entendu parler de Colares. Et pour cause : ce vignoble forme l’une des plus petites appellations du Portugal, avec seulement 26 hectares de vignes plantées actuellement. Direction les collines de Sintra, au nord de l’estuaire du Tage, pour découvrir ce vignoble hors du commun.

Un vignoble historique

Si Colares est aussi peu connu aujourd’hui, ce ne fut pas toujours le cas : l’appellation fut reconnue dès 1908, ce qui en fait l’une des plus anciennes en Europe, et c’est le siège de la plus vieille cave coopérative du Portugal, fondée en 1931, et détentrice du monopole de la production de vin de Colares à compter 1934.

Crédit : Google Maps

Les quelques dizaines d’hectares plantés aujourd’hui font pâle figure face aux chiffres du siècle précédent : au milieu du XXème siècle, Colares a pu compter jusqu’à 1000 hectares de vignes, avec un record de production de 1,5 million de litres en 1955.

Pourquoi un tel déclin ? Les raisons principales ont justement trait à ce caractère « historique » de Colares : la vinification est toujours traditionnelle (on attend encore de voir une cuve inox), le monopole sur la production a probablement empêché la région de prendre le tournant des années 80 (les négociants peuvent élever et embouteiller le vin sous leur étiquette, mais l’impossibilité d’accéder à la vigne et à la production reste un frein important)… et, surtout, les conditions climatiques et environnementales sont particulièrement adverses. Au point que les jeunes générations se sont détournées de la vigne et ont abandonné les vignobles familiaux.

Colares – la viticulture extrême

Extrême n’est ici pas galvaudé : si l’on s’en tient au terroir et à ce qu’il exige sur le plan viticole, c’est un miracle que Colares existe encore aujourd’hui.

Un climat océanique humide et venteux : Colares se situe dans les montagnes de Sintra, à l’ouest de Lisbonne, au bord de l’océan Atlantique. Les vents océaniques forts buttent contre des falaises hautes de près de 100 mètres, faisant de cette partie du Portugal un lieu apprécié des surfers, mais un lieu très humide, où il est très rare d’avoir un jour sans brouillard. Au Portugal, cette région est « l’endroit où l’hiver va passer ses vacances d’été ».

Des vignes plantées dans le sable : le sol de Colares est fait de sable pur, sur un lit argileux. Non seulement c’est un sol très pauvre, mais planter un pied de vigne relève de l’exploit : il faut creuser le sable, afin d’enraciner le pied dans la couche d’argile, parfois jusqu’à 2 mètres de profondeur, tout en veillant à ne pas se retrouver ensablé par une rafale de vent (règle n°1 : ne jamais planter seul).

Cela signifie que :

  • La pourriture est un problème viticole majeur
  • Les vignes et les raisins, proches de l’océan (entre 200m et 2,5km de la côte), subissent les embruns marins (et leur forte teneur en sel)
  • Les baies peinent à mûrir en raison de cette couverture nuageuse et du brouillard : il n’est pas rare de devoir attendre octobre pour vendanger, afin d’atteindre la maturité en sucre des raisins (ne parlons même pas de maturité phénolique !)
  • Le vent interdit de cultiver la vigne vers le haut, elle rampe donc à même le sol : pas de palissage, pas vraiment de taille, et des vendanges où il faut soulever les branches et les feuilles pour « cueillir » les grappes à même le sol
  • Le sable empêche l’attaque du phylloxéra et permet de planter sans porte-greffe, mais à Colares le décret d’appellation a érigé ceci en règle : il est obligatoire de planter franc de pied
  • Les rendements sont très bas (maximum 15 hl/ha)

Une viticulture extrême, extrêmement exigeante, des rendements faibles, donc de faibles revenus potentiels… Pour que la vigne subsiste encore à Colares, il faut donc que le vin soit excellent.

Colares – des vins uniques et exceptionnels

Lors d’une présentation de ce vignoble par Rui Falcao à l’occasion de la conférence MUST 2019, il a décrit ces vins comme des « licornes ». Avec tout ce que cela implique de magique et d’exceptionnel. Un climat extrême, nécessitant des efforts constants, une vinification traditionnelle (les cuves inox sont encore rares), des cépages méconnus… et des vins exceptionnels tant par leur qualité, leur complexité, que leur longévité.

Vins de Colares – Malvasia et Ramisco – Arenae – Portugal
Crédit : la Feuille de Vigne

Les deux seuls cépages de Colares sont :

  • le Ramisco, un cépage noir pour les vins rouges, décrit dans « Wine Grapes » (J. Robinson, J. Harding, J. Vouillamoz) comme un cépage exigeant, agressif dans sa jeunesse mais élégant après un long vieillissement, en raison des ses tanins puissants et de sa trame acide. L’âge (à partir de 10 ans) révèle le bouquet des vins, avec des notes d’herbes aromatiques, de cèdre, de sous-bois…
  • la Malvasia de Colares, cépage blanc pour les vins blancs, qui n’a pourtant rien à voir avec les autres malvoisies connues. Les notes d’herbes aromatiques s’y retrouvent, avec un côté salin, mais aussi des notes fruitées et florales et une trame minérale.

Mais à la dégustation, qu’est-ce que ça donne ? J’ai profité de mon passage dans la région de Lisbonne pour rapporter deux bouteilles issues des caves de la coopérative de Colares :

Arenae – Malvasia 2015 (blanc) – Adega Regional de Colares

Un vin blanc élégant et fin, avec des notes légèrement oxidatives au nez, de la pomme cuite, des fleurs séchées, et une note iodée apportant de la complexité au bouquet. La minéralité se retrouve au palais, avec une bouche droite très savoureuse, et une finale longue et élégante. Le genre de vin que l’on imagine volontiers avec des fruits de mer et des fromages portugais.

Arenae – Ramisco 2009 (rouge) – Adega Regional de Colares

La vraie et belle surprise de cette (petite) dégustation : le nez est très expressif, évoluant des fruits noirs mûrs (cassis, cerise noire) aux fruits séchés (pruneau, figue), avec des arômes boisés et épicés (vanille, girofle, bois de cèdre, bois de santal), et une très grande complexité, toujours avec une belle finesse. Le palais, intense en saveur, ne se départit pas d’une belle acidité, avec des tanins fins et assez légers. La structure et la rondeur sont apportées ici par les saveurs, tandis que le degré d’alcool reste raisonnable. La finale est longue et toujours savoureuse, avec une pointe de minéralité et toujours beaucoup de complexité.

En un mot… le genre de vin qui fait que l’on comprend – à la première gorgée – pourquoi des vignerons se donnent encore tant de peine à cultiver leurs terres.

A noter : les vins de Colares sont commercialisés dans des bouteilles de 50cl. Historiquement, il s’agissait de bouteilles de 60cl, mais l’impossibilité d’exporter ce format (illégal aux Etats-Unis notamment) et le prix des bouteilles (60cl n’est pas un format présent au catalogue des grands verriers !) ont conduit à son abandon. La rareté des vins de Colares explique que 50cl fut ensuite préféré à 75cl.