Billet d'Humeur
Le 9/10/2012 par Olivier Lebaron
Vendanges à tout prix, une lutte des classes invisible et silencieuse dans la vigne
Le safari des vignes
Au matin, dans la fraîcheur raisonnable de la campagne Piscénoise, je m’équipe à la va-vite, déjà habitué, pour une épique journée de vendanges. J’ai ressorti un vieux jean qui me servira d’armure contre les mauvaises herbes parfois si envahissantes au pied des pieds de vignes. J’hésite entre un tee-shirt imprimé d’un "I love ventoux" et d’un énorme cœur rouge offert par le syndicat du même nom après une montée héroïque sur le mont chauve, et un autre plus anonyme et passe-partout, puis je pars en choisissant le deuxième. Sachons rester discret.
Dehors à cette heure, le soleil a encore l’air embrumé, et dans les rues de Pézenas, vides, l’atmosphère endormie invite à la discrétion du départ. J’en profite pour faire du bruit.
En moins de 5 minutes, je traverse déjà le vignoble pour me rendre près du village de Caux, au domaine Allegria. La cave est sortie de terre l’année dernière, sur la pente douce d’un volcan, entourée de parcelles de vignes. De bois et de béton, elle resplendit dans le paysage et incarne ce renouveau du Languedoc. Il y en a toujours pour être jaloux et envieux et pourtant quel bonheur, quel espoir, quel soulagement, de voir de telles aventures se réalisaient ici, sur ce terroir si méconnu!
Allegria
Commençons les vendanges, dans la joie (c’est la signification d’allegria)! Je suis reçu par Ghislain d'Aboville, néo-vigneron de son état, à la tête du domaine qu’il a créé avec Delphine sa charmante épouse. Une superbe réalisation avec de nouvelles idées comme ce "Cousu main" qui le temps d’un week-end vous propose de concevoir votre propre cuvée, une barrique, en travaillant l’assemblage du vin. Ou encore, l’animation d’une table d’hôte par Delphine pour faire découvrir les vins et le vignoble autour d’une savoureuse assiette dans une ambiance conviviale. On a même vu l’organisation d’un mariage avec cérémonie dans le chai entre les deux rangées de cuves!
Petits exercices manuels en viticulture
Le monde du vin est d’une telle diversité et soumis à de telles pressions diverses que sont l’économie, la culture, les modes et l’effusion de sentiments en tous genres, que l’on observe aujourd’hui étrangement 3 types de vendanges.
Deux mondes, aucun conflit?D’abord la classique celle qui emploie des saisonniers rémunérés et parfois nourris et logés.
Une autre réalisée dans le cadre du bénévolat, en famille, entre amis, avec pour contre-partie le plus souvent un repas et quelques bouteilles.
Et enfin, la dernière, très tendance qui fait partie intégrante de ce que l’on appelle techniquement l’oenotourisme, la vendange payante que les participants vont s’offrir ou se faire offrir.
Ces 3 modes de vendanges coexistent étonnamment sans conflit social! Un must d’entente sociétale sur la relation de chacun avec ses origines paysannes! Pas un seul oenotouriste qui pourrait s’étonner de devoir payer pour une prestation normalement rémunérée. Pas un seul saisonnier pour défiler dans le vignoble et manifester contre une concurrence abusive mettant en péril son emploi!
Non, pas un seul conflit. A croire que les vignerons sont passés maître dans la gestion des ressources humaines!
Conflit de génération
Et pourtant, à bien y regarder, ces 2 modes de vendanges, rémunérées et payantes, antagonistes d’un point de vue financier, dressent un parfait portrait de notre société. D’un côté des seniors, des retraités, des "CSP+" qui viennent dans la vigne pour se ressourcer et rechercher une relation expérientielle avec le produit vin. Ils auront bien un sécateur dans la main pour cueillir quelques grappes mais il faudra bien les choyer, que ça reste un plaisir, sans contrainte, si possible bien arrosé et avec de quoi bien ripailler!
De l’autre, on trouvera une catégorie de population nettement plus défavorisée, plus jeune, en recherche d’emploi, des étudiants bien entendu et des spécialistes de ce type de travail, comme ces femmes d’origine maghrébine et d’une habileté rare, couvertes de la tête au pied, sous le soleil.
Ce n’est pas le même monde du vin, assurément! Une observation d’autant plus criante avec l’actualité de ces derniers jours concernant le rapport de la Cour des comptes qui propose de revenir sur certains avantages fiscaux et sociaux des retraités.
Olivier Lebaron - ShowViniste
Crédit photo: Olivier Lebaron
Pour les curieux et visiteurs, près de Pézenas:
Domaine Allegria - Ghislain & Delphine d'Aboville
Fontarêche, 34720 Caux - France
Quelques mots sur l'auteur : Olivier Lebaron
C'est le vin qui a guidé ses pas vers le Languedoc, à Pézenas où Olivier Lebaron vit maintenant. Témoin vibrant d'un patrimoine en mouvement dans ce pays d'art et d'histoire, il sillonne la vigne à la recherche de vignerons atypiques dont il fait partager la rencontre sur son blog ShowViniste, qu'il définit comme le "blog citoyen du vin". Par son regard décalé du vignoble, il aime à illustrer ses articles d'images originales et soignées.
Responsable Marketing et Technologie pour Vitisphere, Olivier Lebaron se distingue également par son ouvrage pédagogique "Vin, Internet et Mobilité: la révolution", paru en 2011 aux éditions Féret. En pro des réseaux sociaux, vous pouvez le retrouver sur son profil Facebook, sur Twitter (@ShowViniste) et aussi sur Pinterest.
