Le 14/11/2013 par Maxime
Ca a commencé il y a des dizaines d'années, avec les grands chefs étoilés qui à l'approche de la fin de leur carrière s'attelaient à la rédaction de "l'ouvrage de leur vie", réunissant leurs plus grandes recettes, celles qui les ont fait connaître un jour, des grands classiques pour la plupart.
Puis tout s'est accéléré il y a 10 ans. Un engouement plus fort pour la cuisine, une bien plus grande médiatisation de la gastronomie et des chefs, ont poussé les maisons d'édition à sortir de plus en plus de livres de recettes, jusqu'à un livre par an pour certains chefs très populaires.
Mais pour écrire un livre par an, contenant au minimum une centaine de recettes, pour les tester, les goûter, les rédiger, il faut du temps. Beaucoup de temps. Il faut savoir cuisiner, inventer, avoir un style de cuisine bien à soi (ce que, généralement, ces chefs savent faire), mais il faut également savoir écrire (ce qui, sans être d'une rareté extrême, n'est quand même pas souvent leur compétence principale). C'est là que les nègres interviennent.
Le nom qu'on donne aux nègres en anglais est assez évocateur du travail à faire. Être là, lister les recettes, les tester, les rédiger, ajouter des commentaires… sans être présent. On ne doit pas discerner la signature du nègre dans l'ouvrage, il ne doit pas non plus se faire remarquer en cuisine quand il étudie le chef, ses techniques, sa philosophie et ses recettes.
En pratique, son travail consiste en plusieurs entretiens pour comprendre le chef et récupérer toutes les informations que celui-ci peut lui donner. Pour les livres de recettes, il faut également être bon en cuisine et, seul ou avec l'aide d'une petite équipe, tester les différentes recettes que l'on écrira (ainsi que les faire prendre en photo). Enfin, le nègre collabore avec l'éditeur qui lui impose délais, ré-écritures etc. Pendant que le chef s'occupe de son restaurant ou de ses autres activités habituelles et effectue un travail de relecture, s'efforce de rester suffisamment disponible pour répondre aux questions du ou des rédacteurs.
Ces rédacteurs, il serait d'ailleurs plus politiquement correct de les qualifier de nègres littéraires, ghost writers ou écrivains fantômes, voire de prête-plume, mais le mot "nègre" est plus évocateur. Ce surnom a été hérité de l'esclavage: par extension, "nègre" a ensuite désigné toute personne forcée de travailler durement, sans respect de la part de son employeur ou commanditaire. La preuve en quelques qualités essentielles du nègre:
Certes, la situation est en train de changer, avec certains chefs qui se rendent compte de la valeur d'un bon nègre, le remercient ou mettent son nom sur la couverture, font lors des interviews la distinction entre "auteur" et "rédacteur", et se contentent finalement de faire appel à quelqu'un d'autre parce qu'ils reconnaissent leur propre manque de compétences rédactionnelles et leur manque de temps.
Mais cela n'en reste pas moins un travail souvent ingrat, au sens premier du terme. On ne peut que conclure en citant ce que le nègre de Patrick Sabatier racontait dans Le Canard enchaîné: « J’ai connu un nègre stressé, déprimé, au bout du rouleau; sa femme l’avait quitté, sa mère était morte, et il était malade. Je lui ai conseillé un bouquin vraiment drôle. “Je sais, m’a-t-il répondu accablé, je l’ai écrit.” »
NDLR: certains passages de cet article font référence à un témoignage de "ghost writer" publié dans le NY Times
L'équipe de la FDV ne manque pas de profils atypiques, et Maxime ne fait pas exception à la règle. Il a appris le vin "sur le tas", se formant au gré de ses voyages auprès de sommeliers, d'oenologues, de vignerons, de cavistes et de négociants. Ses périples dans les vignes doivent bien le changer de ses années sur les bancs de la faculté de droit. Mais, qui sait, ces dernières peuvent toujours servir, surtout dans un secteur où la régulation est de mise!